"La prison après la peine" - Lettre ouverte à monsieur Robert Badinter

Publié le par Alliolie

Dans son « point de vue » paru dans Le Monde du 27 novembre 2007 (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-982982,0.html), Robert Badinter nous livre une analyse du récent projet de loi dit « sur les criminels dangereux », au plutôt un exposé fleuve de bons sentiments sous le titre (en l’occurrence bien trouvé) « La prison après la peine ».

 

 

Afin de structurer un peu mon propos, j’en reprendrai ici les principales idées.

 

 

 

 

Monsieur Badinter, vous commencez par un rappel pseudo-pédagogique des « fondements de notre justice », points sur lesquels personne ne trouvera, à l’évidence, grand-chose à redire.

 

 

Or, catastrophe, selon vous, bouleversement des principes, cataclysme national, puisque désormais « Après l'achèvement de sa peine, après avoir "payé sa dette à la société", au lieu d'être libéré, le condamné pourra être "retenu", placé dans un "centre sociomédico-judiciaire de sûreté", par une décision d'une commission de magistrats pour une durée d'une année, renouvelable, parce qu'il présenterait selon des experts une "particulière dangerosité" entraînant un risque élevé de récidive. »

 

 

 

 

Mais vous poursuivez « Dans la mesure qui nous est proposée, il s'agit (…) de retenir le condamné "dangereux" après sa peine dans une prison particulière pour prévenir tout risque de récidive. (…) Depuis dix années (…) c'est la violation des obligations du contrôle par celui qui y est astreint qui entraîne à nouveau son incarcération. C'est l'infraction qu'il commet en manquant à ses obligations qui le ramène en détention. Avec la loi nouvelle, le lien est rompu : il n'y a plus d'infraction commise, mais un diagnostic psychiatrique de "dangerosité", d'une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes. Que reste-t-il de la présomption d'innocence dans un tel système ? »

 

 

La présomption d’innocence n’a plus grand-chose à voir lorsque nous parlons de condamnés… Il ne s’agit pas non plus (ah, ce vocabulaire catastrophiste) de supposer une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes, mais simplement une prise en compte du fait que des crimes ont déjà été commis et qu’il serait fâcheux que faute d’analyse et/ou de suivi de l’individu en cause, celui-ci soit amené à porter de nouveau atteinte à certaines valeurs de notre société.

 

 

 

 

« (…) On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des Etats totalitaires. » Et à quelles dérives conduisent les approches se contentant de contester toute nouvelle proposition soit en raison de son insuffisance, soit en brandissant le spectre du totalitarisme, du fascisme, du racisme, de la remise en cause de droits acquis, (j’en passe et certainement des meilleures) ?

 

 

Monsieur Badinter, vous avez tout de même l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que le texte prévoit « ne prévoit cette "rétention de sûreté" que pour des criminels particulièrement odieux, pédophiles, violeurs, meurtriers, agresseurs de mineurs, condamnés au moins à quinze ans de réclusion criminelle », « exige que la mesure soit demandée par une commission pluridisciplinaire et décidée par des magistrats », que des « voies de recours en appel et cassation sont prévues » et enfin que « la rétention ne sera ordonnée qu'au vu d'expertises psychiatriques sur la dangerosité du sujet. »

 

 

Mais vous y trouvez encore à redire, soulignant « « Est-il besoin de rappeler que ce concept de dangerosité demeure incertain dans sa mise en oeuvre ? »

 

 

Ce à quoi je répondrai, tout simplement, qu’en Droit la marge d’appréciation du juge, à laquelle tant de commentateurs semblent attachés du côté gauche de l’échiquier politique, dépend majoritairement de la souplesse des notions. D’un côté, on nous brandit la menace d’un Etat totalitaire, à l’exécutif tout puissant, et de l’autre on se plaint de ce que le gouvernement laisse dans ce projet de loi un pouvoir d’appréciation au juge plus que nécessaire en la matière au lieu de l’enfermer dans une définition forcément malvenue et conduisant soit à l’inapplicabilité de la mesure, soit, pire, à une application elle-même malvenue ?

 

 

Et le meilleur est à venir : « Quand il a accompli sa peine, payé sa dette à la société, il a conscience d'avoir droit à cette libération. Et voici que par l'effet de la loi nouvelle, cette certitude-là vacille et s'éteint. Il n'y aura plus pour lui d'assurance de retrouver sa liberté après avoir purgé sa condamnation. Sa liberté, même s'il s'est bien comporté en prison, ne dépendra plus de l'achèvement de sa peine, elle sera soumise à l'appréciation de psychiatres et d'experts qui concluront ou non qu'il est atteint d'une affection particulière, la "dangerosité sociale". »

 

 

Ces propos me permettent d’enchainer sur le cœur du reproche que j’adresse à votre analyse, monsieur Badinter, vous qui n’avez probablement jamais eu à faire avec les « criminels particulièrement odieux, pédophiles, violeurs, meurtriers, agresseurs de mineurs, condamnés au moins à quinze ans de réclusion criminelle » visés par le projet de loi.

 

 

D’abord, je tiens simplement à rappeler qu’il n’existe plus aucun criminel ou délinquant purgeant l’intégralité de la peine à laquelle il a été condamné. Par le jeu des réductions de peines, celui condamné à 20 ans ne les fera jamais. Par conséquent, il est déjà exagéré de déclarer, la larme à l’œil, que la certitude d’un droit à la libération, pour le condamné, vacillera pour se soumettre à l’appréciation de psychiatres et d’experts, surtout après avoir rappelé quelques lignes plus haut que la mesure sera décidée par des magistrats. Nous ne sommes pas ici en matière contractuelle monsieur Badinter : le détenu, le condamné, n’a pas à se plaindre d’une modification des clauses du contrat. Et il n’aura même pas cette possibilité puisque depuis l’intervention du Conseil d’Etat, la loi proposée ne sera pas d’application immédiate : la décision de placement dans un centre de sûreté devra être expressément prévue dès le jugement. Ainsi, dès le jugement (donc avant d’avoir purgé sa peine), le condamné aura connaissance de l’éventuelle mesure de rétention de sûreté qui pourrait lui être appliquée.

 

 

 

 

Ensuite, je cite le commentaire « Pour cet homme-là, quelle incitation à préparer, en détention, son avenir ? A l'attente, on ajoutera l'angoisse de l'incertitude. »

 

 

Mais de quoi parle-t-on monsieur Badinter ?

 

 

Parle-t-on de présumés innocents ? Non !

 

 

Parle-t-on d’hommes ayant commis des délits mineurs ? Non !

 

 

Parle-t-on de chômeurs en période de formation spécifique ? Non !

 

 

Nous parlons de personnes qui, pour une raison ou une autre, ont commis un acte réprimé par la société dans son ensemble, un acte si grave qu’il justifie aux yeux de cette même société une peine lourde.

 

 

Nous parlons de personnes qui, pour une raison ou pour une autre, ont franchi une limite témoignant si ce n’est d’un désordre psychiatrique, au moins d’un sursaut momentané d’inhumanité.

 

 

Nous parlons de personnes qui passent par conséquent des années dans des prisons mal entretenues, où règne la promiscuité, où il n’existe pas d’intimité, où la majorité n’est pas sous traitement ou n’a pas de suivi pour les éventuelles déviances qui l’atteignent, où tout semble œuvrer pour les rendre encore pires à la sortie qu’à l’arrivée.

 

 

Et vous voudriez nous dire que proposer, à la fin de peine purgée, qu’une commission pluridisciplinaire puisse demander à ce que certains d’entre eux, qui en auront été prévenus dès leur jugement, soit placés dans des centres fermés, serait un changement d’orientation catastrophique de notre système judiciaire ?  

 

 

Publié dans Coup de gueule

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L
Juste quelques compéléments d\\\'infos, à toutes fins utiles : http://www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10030&article=13022 et http://www.france-info.com/spip.php?article44226&theme=9&sous_theme=11
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